fermer le pop-up
Mateus Araujo Silva2

II

 

En cinéaste, Rocha s'est déclaré à plusieurs reprises intéressé, attentif ou même influencé par le cinéma des Straub. Il reconnaît avoir subi l'influence de Straub dans Câncer (tourné en août 1968, monté en 1972), Antonio das Mortes (1969) et Le lion à sept têtes (1970) : «En revenant à Cancer. J'avais discuté beaucoup avec Straub à Berlin sur la question du plan séquence et me suis décidé d'en faire des expériences à partir des siennes d'alors » (« O transe da América Latina », entretien du 27/4/1969, repris dans Revolução do cinema novo, p.181) ; « Antonio das Mortes est dialectique : il a subi l'influence de La Chinoise et de Straub » (« America Nuestra », juillet 1969, dans Revolução do cinema novo, p.167). « ... je ne voulais plus être le cinéaste baroque, épique etc. Mes derniers films sont en rupture avec moi-même, je te disais aussi que le Lion [à sept têtes] était un film non intégré, mais il me fallait citer Godard, Straub, Brecht etc. pour ne pas cacher mes obsessions, mais en même temps, je pense que le Lion est un film simple, primaire, non culturaliste, africain et africaniste » (Lettre à Michel Ciment, fin 1970, incluse dans Glauber Rocha, Cartas ao Mundo, 1997, p.372). Dans un texte écrit à Rome en juillet 1969 et non publié à l'époque sur le projet du film América nuestra, qu'il n'arrivera jamais à tourner, Rocha indique, à la fin d'une énumération assez hétérogène d'ingrédients venant d'autre cinéastes et apparemment voulus pour son film, son désir d'y introduire aussi "quelque chose de Straub23" (Revolução do cinema novo, p.162). 

Sans savoir précisément à quels films des Straub Rocha fait référence lorsqu'il déclare ces influences, je vois bien pour ma part l'intérêt d'une comparaison de Cancer avec Le fiancé, la comédienne et le maquereau (que Rocha n'a pas pu voir avant de tourner son film en août 1968, et a dû voir avant de le monter en 1972)24, mais l'univers de Antonio das Mortes et du Lion me semble un peu trop éloigné de l'univers straubien, rendant peu opératoire l'exercice de la comparaison. En tout cas, à mon avis, le film le plus révélateur du dialogue de Rocha avec le cinéma des Straub est finalement non pas l'un de ceux qu'il déclarait influencés par ses collègues, mais un autre, Claro, qu'il a tourné à Rome en 1975, dans la même condition d'auto-exilé que les Straub. La comparaison semble féconde tant pour les questions communes (il y a le même désir d'explorer les connotations fournies par la géographie et l'histoire de Rome, et le même emprunt de la figure historique de l'Empire Romain pour penser le capitalisme contemporain) que pour les différences dans leurs démarches stylistiques.