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Hélène Raymond

En 1958, Joseph est un jeune homme qui doit se positionner par rapport à l’histoire, familiale et nationale, s’il veut échapper à la place qu’elle lui donne et pouvoir agir plutôt que d’être agis par elle. Il accomplit symboliquement la destruction de l’abbaye de st Antoine en abandonnant sa reconstruction, et se trouve en position de devoir inventer autre chose. S’il est un accomplissement, son geste n’est pas encore une réalité concrète, c’est une décision. Johanna qui vit dans une maison de repos depuis la Deuxième Guerre mondiale semble, quant à elle, enfermée dans le passé, mais son ressassement la pousse finalement à agir. Après avoir projeté de tuer Vacano, ancien dignitaire local du parti nazi, puis Nettlinger, ancien homme de main de Vacano devenu conseiller ministériel, Johanna, le jour des 80 ans de son mari tandis que la ville se rassemble autour du défilé des Combattants dirigé par Vacano, tire sur un politicien qui représente l’avenir de la démocratie dans la continuité de l’histoire allemande. Johanna accomplit le geste, mais elle rate sa cible. Le politicien n’est que légèrement blessé. Cela produit cependant une sidération qui touche l’ensemble des personnages du roman réunis alors et qui dévoile un instant la fragilité de l’ordre social qu’elle fait vaciller. Le texte se referme sur la nécessité d’un écart et d’un coup d’éclat que les cinéastes saisissent comme l’argument de leur travail. L’effondrement d’un certain ordre des représentations produit par les décisions de Joseph et de Johanna est la matière première du film qui introduit, par sa réalisation, une distance nouvelle entre destruction et construction. Ainsi, le découpage souvent abrupt assemble les plans en insistant sur le contraste, l’interruption et la collision des espaces. La présence d’images d’archives et de documents souligne aussi l’hétérogénéité des matériaux assemblés. De même, le traitement du temps historique crée une temporalité discontinue où passé et présent se télescopent en un point de simultanéité qui donne aux actions, même les plus lentes ou les plus infime, un caractère d’urgence.

L’irruption des images d’archives montrant les ruines du monastère du Mont Cassin, près de Naples, en 1945, affirme la correspondance entre la situation de Joseph et le point de vue du film. Bombardé en 1944, le monastère fut reconstruit à l’identique : « là, où il était et tel qu'il était »3, et achevé en octobre1964. Non réconciliés, réalisé entre septembre 1964 et avril 654, intègre au montage des plans réalisés sur ses ruines encore fumantes. Comme Joseph, le film s’en tient à la destruction. L’introduction des ruines dans le présent du récit apparaît comme négation de la négation de la destruction mise en œuvre par la reconstruction. Les prises de vues sur le monastère en 1944 sont intégrées à une séquence qui assemble deux séries d’archives distinctes. Les images du Mont Cassin interviennent d’abord et se terminent par un plan de croix renversée dans les décombres. Ce plan découvre un dispositif de projection qui sort l’archive de la continuité du montage où elle s’intègre d’abord.