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Hélène Raymond

Comme sous l’effet d’un recul du cadre du film et d’un déplacement de l’axe de la caméra, le plan d’archives apparaît projeté dans une salle de cinéma. Devant l’écran se trouvent les personnages de l’abbé chargé de la reconstruction de st Antoine et de David (Heinrich Faehmel). En réponse à l’abbé qui lui promet de trouver les « coupables » (responsables du dynamitage), l’architecte de dos et face à l’écran hausse les épaules. La promesse de l’abbé qui rejoint le processus légal à travers lequel les États ont voulu régler le rapport des sociétés au passé après la Deuxième Guerre mondiale, n’a pas de sens pour David. Pour Straub et Huillet non plus. Ils introduisent un hiatus dans ce système puisque l’abbé évoque les coupables allemands de la destruction de son abbaye devant des images de ruines en Italie, bombardées par les Alliés. Le plan suivant est le premier de la seconde série d’archives consacrée à la mobilisation et au départ des soldats allemands en 1914. L’ensemble de cette séquence intervient à la fin de la première moitié du film, juste après l’apparition de Johanna jeune, au moment où le destin si bien réglé de David va basculer, avec la guerre. Elle est introduite par un jugement rétrospectif de l’architecte, après l’évocation de son mariage : « L’imprévu me frappa durement », qui accompagne le premier plan sur les ruines. Passant de 1914 à 1945, le temps historique y est remonté mais surtout décroché du fil à sens unique de la chronologie. Dans l’expérience que l’on fait du temps, ce sens n’existe pas, les souvenir continuent d’exister et d’agir dans le présent. Ici, les deux guerres sont également attachées au présent par l’échange de l’abbé et de l’architecte qui fait la transition entre elles. Les images des soldats entassés dans les wagons en 1914 évoquent celles de la déportation. Les images du monastère détruit évoquent la nombreuse population civile réfugiée dans ses bâtiments au moment du bombardement. Il s’agit d’indiquer que les époques ne cessent de s’entrecroiser dans le présent, et de proposer une autre histoire de l’Europe après la guerre que celle de la reconstruction : une histoire de la destruction, que tente aussi de faire entendre Johanna.

 

Jean-Marie Straub évoque souvent son hostilité à l’égard des virgules qui, en tant qu’invention typographique, sont le signe du livre imprimé dans le texte même. Il parle de « dynamiter » les virgules. Ce dynamitage existe dans Non réconciliés, mais on peut faire l’hypothèse qu’il concerne le livre, comme objet et volume. Cela permet de lier plus étroitement le dynamitage à la question architecturale. Si la virgule manifeste la typographie, l’entrée du texte dans l’industrie, le livre manifeste le monument, la culture comme tradition intégratrice, l’objet dans la reconnaissance duquel une société se constitue. C’est-à-dire une forme réifiée de l’art qui n’est pas intégrateur mais destructeur, dialectique et négatif par rapport à la société dans laquelle il intervient5.