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Hélène Raymond

À propos de Femmes entre elles (2008)6 et plus largement des films réalisés depuis Ouvriers paysans (2000) dans le même sous-bois en Italie, le cinéaste dit qu’il essaie de faire passer le texte d’une forme écrite à une forme orale7. Les virgules qui marquent le rythme du texte typographié canalisent la voix, leur dynamitage permet d’ouvrir la diction à son flux intensif. Les textes travaillés sont parfois manipulés par les acteurs lors de la prise. Cette présence des livrets à l’écran marque un moment du passage de la forme écrite à la forme orale. L’objet livre apparaît transformé pour le jeu, lié au corps de l’acteur, au sol et à la lumière du plan, tandis que le texte prend une existence sonore connectée au plan, mais déconnectée de cet objet. Non réconciliés, par la multiplication des personnages, entraîne une polyphonie. Les personnages que le roman présente à des époques différentes de l’histoire : la Première, puis la Deuxième Guerre mondiale et l’année 1958, sont incarnés par des acteurs différents. Ainsi Robert Faehmel est interprété par trois acteurs, son ami Schrella, Johanna (qui n’est jamais nommée) et David (Heinrich Faehmel dans le roman, qui n’est nommé dans le film que par Johanna), sont chacun interprétés par deux acteurs. Cela souligne moins l’oralité du texte dit que le travail spatial et temporel qui l’accompagne, l’architecture du plan et la structure générale du film. Le dynamitage des virgules correspond à un travail sur les variations d’intensité dans le texte, il donne lieu, dans Ouvriers paysans et Humiliés à une sorte d’enterrement très doux du livre dont les pages sont transformées en feuilles qui sont posées dans la forêt, retournées à la nature en quelque sorte. On peut mettre en relation cet enfouissement avec la description par Deleuze de l’idée cinématographique qu’est la dissociation voir-parler : « la parole s’élève dans l’air, en même temps que la terre qu’on voit s’enfonce de plus en plus. Ou plutôt, en même temps que cette parole s’élève dans l’air, cela dont elle nous parlait s’enfonce sous la terre.8 »

 

Le traitement est différent quand le dynamitage concerne directement le livre. Le montage du texte par assemblage de passages choisis produit de fortes ellipses, d’autant plus sensibles que les passages sont toujours des moments clefs du récit qui sont saisis à l’instant de leur accomplissement, sans la description du mouvement qui conduit jusqu’à eux dans le livre9. Aucune respiration, aucune baisse d’intensité d’un plan à l’autre, des transitions abruptes entre les scènes rendent le spectateur d’abord sensible à l’assemblage d’éléments qui gardent toujours une grande part d’abstraction. Les scènes sont ressenties comme abstraites des liens qui expliquent leur intervention dans le développement du texte, bien qu’elles composent un parcours exact, complet et logique du récit.