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Monuments et mémoire -
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Hélène Raymond

L’image inversée du récit que propose le film apparaît alors comme dans un miroir brisé où chaque éclat compose l’ensemble. Le temps déployé, fermement structuré par le cadre et le montage, est le temps simultané d’une forme qui se développe au même moment dans des espaces différents. La structure mémorielle du roman qui fait surgir le passé à partir d’une journée de 1958 devient dans le film une égalité du passé et du présent. En ce sens les cinéastes adoptent le point de vue de Johanna10. Cette impression de simultanéité repose à la fois sur la structure générale du film et sur la description des espaces car le cadre est très étroitement liés aux personnages, lesquels sont une cause majeure du télescopage des époques dans l’esprit du spectateur qui n’identifie pas immédiatement le personnage unique derrière ses multiples incarnation. Il semble que les époques dissocient l’unité du personnage et que le jeune Robert, où la jeune Johanna pourrait entrer dans la pièce où elle se trouve 50 ans plus tard et venir se saluer elle-même. La construction du film à partir d’éclats de temps qu’il rassemble dans celui de la projection relève ainsi d’un travail de statique. Il s’agit de faire tenir l’espace afin que le dynamitage du livre, qui est son big-bang, fasse du texte une constellation.

La destruction du livre n’est pas la négation du texte, ni du récit. Le texte est découpé, mais il n’est pas réécrit. C’est une lecture active dont l’enjeu est un rapport également actif à la mémoire et à l’histoire. Elle entre en résonance avec la destruction des architectures à ce moment de l’histoire allemande : la destruction par les bombardements Alliés des architectures du troisième Reich qui avaient été édifiées pour durer des siècles, celle des quartiers populaires de Cologne, évoquée à l’ouverture du film par un plan sur un monument à la mémoire des victimes civiles11, celle, par l’armée allemande, des architectures concentrationnaires édifiées dans la conscience de leur effacement programmé, tout cela rend la reconstruction impossible dans le présent du récit. Analysant Non réconciliés Barton Byg insiste sur la figure négative de l’architecte incarnée par Robert12. Son cabinet d’expertise statique, installé dans l’ancien cabinet d’architecte de son père, n’est pas à l’origine des projets qu’il traite, il n’initie donc pas de construction dans l’Allemagne du miracle économique. Juste après la guerre, associé à la reconstruction de la ville, il engageait toujours ses collaborateurs à faire sauter les ruines : « faites moi sauter tout ça ! » proposait-il invariablement, quand on cherchait à les préserver pour construire avec elles, à partir d’elles. Dans le souvenir de ses enfants, Ruth et Joseph, ces moments sont les seuls où ils aient vu leur père animé du mouvement léger et vif de la gaîté.