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Noƫlle Pujol

Quelle communauté ? Qui sont ces animaux ? Comment ces animaux ont-ils été placés en commun et qu'ont-ils en commun ?

 

Pour tenter de répondre à ces questions, il faut suivre la chronologie des évènements historiques de l'Albanie mais aussi déchiffrer les mystérieuses légendes latines inscrites sous chacun des animaux.

De 1948 à 1961, l'Albanie appartient au bloc communiste soviétique. Dans les années 1950-1961, un couple de naturalistes russes s'installent à Tirana. L'homme, Vasil Puzanov, est passionné de sciences naturelles : il rédige de nombreux articles scientifiques et naturalise lui-même les animaux. Sa compagne est peintre, elle enrichit le musée de représentations animales. En 1961, l'Albanie rompt son alliance avec l'URSS, le couple de chercheurs est obligé de quitter Tirana.

Dans les années 1960, l’Albanie s’autodétruit. Le régime fait miner églises et mosquées et inscrit dans la Constitution le caractère athée du pays. Profondément anti-religieux, le régime d'Enver Hoxha déclare la religion « crime contre l’État » en 1967. A cette date, une partie de la collection des animaux naturalisés du monastère franciscain de la ville de Shkodra située au nord du pays entrent au Muséum.

En 1962, Hoxha s'aligne sur le modèle de la Chine de Mao jusqu'en 1976. Ainsi, un couple de Chrysolophus pictus, deux faisans dorés originaires des montagnes de Chine Centrale intègrent en 1974 la collection du Muséum. Autre découverte, en 1970 une attaque sous-marine commise par erreur a risqué la vie d'un cachalot. Sa chair fut récupérée et utilisée pour la fabrication de savon. Aujourd'hui le squelette du grand cétacé est encerclé par un échafaudage en bois qui tente de soutenir la fragile charpente du bâtiment et de protéger l'animal de sa destruction finale.

Dans son texte « La Comparution, de l'existence du « communisme » à la communauté de l' « existence », Jean-Luc Nancy écrit : « La condition commune, c'est-à-dire à la fois la condition d'être communément réduits à un dénominateur commun, et la condition d'être en commun, absolument. Les deux valeurs du « commun » l'une mêlée à l'autre, l'une contre l'autre. Cette présentation, sans doute, est aussi dépouillée, à nos yeux du moins, que celle d'un plateau désertique – mais elle présente, elle fait venir à la présence. A l'énigme, sans doute, ou à la question de cette « présence » (…) Ou si l'on préfère, il s'agit d'exposition : une condition commune s'expose, dénudée, et nous expose à elle. »2

Aujourd'hui je suis confrontée à l'exposition d'une communauté, celle des animaux communistes du Muséum de Tirana. Ils ont été obligés d'y résider. Les animaux aussi ne peuvent pas échapper au contrôle.