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Le sens de la visite
Mathias Lavin

De Cézanne (1989) à Une visite au Louvre (2003), le portrait de Cézanne se fait en un diptyque au sein duquel le peintre est réduit à une voix dont la présence fantomatique vient hanter ses propres œuvres comme celles des artistes admirés. Dans Une visite au Louvre, le parcours s’effectue à travers les toiles des maîtres anciens et, en donnant à voir le fondement d’une pratique, sert d’approfondissement au film antérieur. Celui-ci, en effet, se présente comme une déclaration d’intention de la part des cinéastes à un double niveau : faire d’abord apparaître Cézanne comme peintre afin d’opérer ensuite une leçon de cinéma à partir des principes qui pourraient être les siens. Déjà constitué comme une figure héroïque dans une tradition critique abondante de Merleau-Ponty à Schapiro, de Rilke à Peter Handke, Cézanne permet l’appropriation d’une posture (et d’un discours) d’artiste afin de servir de porte-parole aux signataires des films. En somme, faire le portait de Cézanne permet à Straub et Huillet de mieux faire leur autoportrait en cinéaste(s). Il ne s’agit pas toutefois de prendre prétexte ici de ces films, proches de l’essai, à forte résonance intime malgré la forme de la commande (pour le premier du moins), pour évoquer la relation cinéma/peinture, ou même la relation Cézanne/Straub, l’une et l’autre déjà amplement commentées, mais plutôt pour comprendre comment dans ces deux exemples le musée devient un lieu cinématographique, comment il est traité et intégré par les deux cinéastes à leur œuvre.

 

Prenons comme point d’entrée dans ce diptyque le titre annoncé par le film le plus récent : il s’agit d’une visite, qui plus est, une visite appelant la répétition comme l’indique son dispositif reposant sur la succession de deux montages, obéissant à un même découpage mais effectués avec des prises différentes – selon une pratique dont les Straub sont coutumiers.

Si la visite se déroule au Louvre, un premier écart est toutefois posé par rapport à ce lieu car les changements d’accrochage des œuvres, au gré des vicissitudes de l’institution muséale, ont obligé les cinéastes à ne pas restreindre leur visite à ce seul musée – même s’il ne s’agit que de traverser la Seine pour filmer les deux Courbet qui se trouvent désormais à Orsay, ou de se rendre à Versailles pour La Distribution des aigles de David.