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Mathias Lavin

Ces choix traduisent une volonté de se placer hors d’une localisation assignable pour produire de la sorte un espace cinématographique, lui-même susceptible de laisser place à des citations picturales : il s’agit de créer un lieu imaginaire, fonctionnant comme un espace d’exposition au sens propre. 

Ainsi peut-on dire que dans Cézanne comme dans la Visite au Louvre, se trouve affiché le luxe apporté par le cinéma – n’oublions pas que les Straub sont aussi des cinéastes de studio, dont Du Jour au lendemain fournit l’exemple magistral. Le contact avec les œuvres du peintre, aussi bref que soit leur passage à l’écran, impose le recueillement comme dans un cabinet privé, à distance du murmure habituel des musées ou d’un quelconque bruit d’ambiance pouvant entourer les tableaux. De la sorte, il s’agit bien d’établir une relation privilégiée avec les œuvres mais celle-là ne repose pas sur la seule contemplation. Au contraire, la voix off de Cézanne, omniprésente dans les deux films, tend à contrarier le pur face à face entre le spectateur et le tableau retenu. Abondante et volontiers sentencieuse, la parole de Cézanne est une voix féminine (celle de Danièle Huillet dans Cézanne, de Julie Koltaï dans la Visite…), servant un effet de distanciation si l’on veut, indiquant également par ce refus de l’identification spontanée entre le peintre et une voix d’homme que c’est un mort qui parle, que ses propos nous parviennent grâce à une représentation, pris en charge par une interprète, et qu’ils font sens de cette manière3. Cézanne devient ainsi une voix de personnage et de conférencier tout à la fois, faisant office de guide pendant le parcours proposé. Dans les deux films, le visible, sous ses différentes modalités, n’apparaît donc pas sans paroles ni commentaires, lié qu’il est à sa doublure de discours – doublure qui ne suppose d’ailleurs nulle antinomie entre le visible et le sonore. Cette intrication conforte l’idée de visite guidée, d’autant plus que dans chaque film le rythme d’enchaînement entre deux tableaux exhibés à l’écran peut être relativement rapide, sans aucune disjonction ou retard entre ce qui est dit et ce qui est montré.

Le contenu de la visite reste toutefois différent dans chacun des films. Cézanne révèle une relative hétérogénéité de matériaux (photographies, peintures à l’huile et aquarelles, extraits de films), parallèle à celle des lieux. En outre, les toiles retenues se trouvent disséminées dans un nombre important de musées (huit d’après le générique). Pour les cinéastes, à rebours de la tendance qui conduit au transport des œuvres pour organiser de grandes expositions monographiques internationales, il s’agit de se déplacer pour composer leur portrait fragmenté de Cézanne. Je reprendrai volontiers sur ce point l’expression de « musée éphémère » à Francis Haskell4, mais dans un sens différent de celui de l’historien d’art puisque les films ne proposent pas l’équivalent d’une exposition itinérante mais plutôt d’une galerie virtuelle.