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Mathias Lavin

Sa valeur conclusive appelle néanmoins une interprétation : les cinéastes nous adjureraient-ils de ne pas perdre le lien avec le monde (voire avec la nature) ? L’hypothèse se défend et viendrait corroborer certains discours des cinéastes comme une des célèbres déclarations du peintre : « Le Louvre est un bon livre à consulter, mais ça ne doit être encore qu’un intermédiaire. L’étude réelle et prodigieuse à entreprendre c’est la diversité du tableau de la nature5. » Toutefois, en ayant à l’esprit les propos entendus dans le film, c’est surtout la modulation de la lumière (ou des « sensations colorées » pour reprendre le vocabulaire cézanien) qui apparaît comme l’élément décisif de ce plan dévoilant un sous-bois traversé par les rayons du soleil. Il ne s’agit donc pas d’un conflit entre l’art et la nature mais de la revendication d’un art servant à mieux voir, dans la mesure même où le regard créateur en vient à remplacer les motifs qui l’ont suscité – toute image de la Sainte-Victoire est désormais inséparable de Cézanne, de même que le dernier plan évoqué semble imaginairement composé par le peintre6. Si dans le premier film, le retour au monde se faisait dans la douleur assourdie, dans le second elle est l’indice d’une possible réconciliation – qui passe par l’existence de l’art.

 

Cette différence ne vaut pas contradiction – ce qui ne serait d’ailleurs pas un défaut – mais indique combien la qualité d’un cinéaste rigoureux se mesure à sa capacité à ne pas s’enfermer dans son propre système. Outre des conclusions distinctes (qui restent du ressort d’un geste d’interprétation), on perçoit la nuance entre les deux films dans la manière dont Une visite au Louvre s’attache parfois aux détails des toiles alors que cette pratique était prohibée dans Cézanne où chaque tableau, souvent décentré, se trouvait filmé avec son cadre bien visible. Ce choix de l’intégrité de l’image citée (par contraste avec nombre de films d’art qui font entrer le spectateur dans la toile) n’est plus de mise dans le second film cézanien où les propos retenus du peintre appellent un examen plus attentif des tableaux évoqués. Ainsi peut-on voir des fragments des Noces de Cana de Véronèse ou du Paradis de Tintoret en une « vision rapprochée », selon l’expression de Daniel Arasse dans ses analyses portant sur le détail.

Cette intimité avec les toiles permet non seulement une adhésion plus forte à la parole de Cézanne mais aussi à son projet formaliste – en tout cas selon le montage textuel opéré par Gasquet/Straub – pour lequel il convient de se défaire du sujet pour ne plus voir que la peinture7. La conception de la peinture repose sur la valorisation de son élément coloré et, de manière incontestable, les deux films sur Cézanne se veulent une célébration de la couleur.