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Mathias Lavin

Le passage par le musée permet de désigner la couleur comme l’objet de la recherche du peintre, voire de tout artiste du visible, ce qui n’est pas anecdotique dans la propre démarche des cinéastes qui ont pu pratiquer aussi le noir et blanc entre les deux films avec Du Jour au lendemain ou Sicilia ! Plus encore, on se souvient que l’insertion dans Cézanne d’un extrait de Madame Bovary (le film de Renoir) était amorcée par une notation de couleur, La Vieille au chapelet étant censée correspondre, selon les dires du peintre, à une teinte connotée par le texte de Flaubert8. Or cette attestation de la couleur se fait dans Cézanne par le biais paradoxal d’un film qui en est dépourvu. Compte tenu de l’importance octroyée à la couleur il semble difficile d’en conclure qu’elle ne serait qu’un supplément. On pourrait comprendre le rapprochement comme un moyen de reposer le débat entre cinéma et peinture tout proposant un jeu de différenciations (couleur pour l’une, noir et blanc pour l’autre sous son versant muséal). Mais il serait sans doute plus pertinent de voir la citation de l’extrait renoirien (dont les choix esthétiques sont relativement hétérogènes à ceux des Straub, en dépit de l’admiration portée à son réalisateur) comme la confirmation d’un regard « rapproché » servant à mettre en valeur les quelques secondes où la vieille servante reçoit une médaille. De même que la couleur permet de s’écarter de l’anecdote, il s’agit par la fragmentation et le raccord avec la toile de Cézanne d’arracher une pure présence au déroulement fictionnel.

Il faut ajouter enfin que dans Une visite au Louvre, la fréquentation de la peinture est renvoyée à un affect mélancolique en raison du passage du temps qui rend plus ternes les couleurs de Delacroix ou celles du Radeau de la méduse. Les couleurs passent, comme les hommes ou les civilisations, et l’idée de perte est évidemment accentuée par le fait que ce constat éploré a été effectué à plus d’un siècle de distance. Le parallèle devient évident entre le paysage de la région aixoise impossible à filmer tant il a été détruit et ces tableaux dont les coloris sont dévastés par le temps. C’est sur ce ressort que repose l’émotion d’une grande intensité produite par le film en jouant sur une tension entre l’impression d’une perte irrémédiable et une célébration affirmée de la couleur comme objet des arts du visible.


 

Les deux films se situent au plus près d’un questionnement sur le temps des images et le temps passé avec les images tout en possédant une dimension pédagogique singulière, que le rapprochement avec la visite guidée aide à indiquer. Celle-ci ne doit pas être comprise ici sur un mode édifiant mais plutôt à la façon d’une conversation dont un modèle pourrait être fourni par le texte de Schlegel, Les Tableaux, rédigé à l’aube du romantisme allemand.